dimanche 26 avril 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 3: L'histoire d'Esther McNicoll-Mayrand

Par Josée

Esther McNicoll Mayrand était une femme remarquable. Elle s’habillait de vêtements classiques et portait des fragrances délicates. Sa chevelure abondante était docilement coiffée en de complexes chignons. Sa silhouette agréable ne révélait pas qu’elle avait plus que débuté la cinquantaine. La vie avait été douce, elle avait profité d’une rente familiale dès son entrée dans la vie adulte. Elle vivait depuis longtemps dans une grande maison du boulevard Pie-IX. Elle s’était entourée au cours des ans d’un mobilier coquet et confortable. Ses murs regorgeaient de sa passion pour la peinture moderne et colorée.  Les choses n’avaient pourtant pas toujours été comme ça. Il fut un temps où la mer était agitée et où le ciel s’était assombri. Mais c’était il y a longtemps. À cette époque, elle avait la jeune vingtaine et portait les cheveux au vent. C’était l’époque des Bee Gee et de Travolta. Elle étudiait l’histoire de l’art et profitait des moindres congés pour voyager. Elle s’était installée à New York pour l’été, profitant d’un pied à terre qu’avait sa famille dans le West Side. Elle adorait ce quartier situé entre la rivière Hudson et Central Park. Après une petite marche, elle se retrouvait dans ses musées préférés, le Museum of Modern Arts et le Guggenheim. Elle aimait également fréquenter les galeries d’arts qui étaient si nombreuses dans Greenwich village. 

Les symptômes de son mal étaient apparus à la pénombre, de façon insidieuse, même si les choses semblaient encore intactes à la lumière du jour. Elle dû cependant accepter la détérioration de sa vision et rentrer à Montréal. Le retour avait été sombre, surtout après que le diagnostic d’une cécité permanente et à court terme fut tombé. Comment était-ce possible pour une amoureuse d’arts comme elle? Elle gaspilla un mois dans sa chambre, dans la maison familiale de Westmount, puis un matin sans aviser personne elle partit avec une petite valise affronter les ombres de sa vie. Elle traversa Montréal d’Ouest en Est et s'installa dans un petit appartement d’Hochelaga. À partir de cet instant, elle passa le plus clair de son temps dans les galeries d’arts et acheta des reproductions de toiles très colorées qu’elle voyait de moins en moins. Elle en garnit tous les murs de son petit appartement. Et puis finalement, après un clignement des yeux, elle entra définitivement dans les ténèbres. 

Cet exil, dans sa propre ville, marquait la transition dans sa nouvelle vie.  Elle pansait ses blessures comme un chien qui lèche ses plaies, à l’abri des regards. Elle cherchait à apaiser sa colère en imaginant des explications à son entrée prématurée en enfer, à l'ombre de l'église voisine, qui faisait résonner sa cloche.  Devait-elle expurgé elle-même les fautes de sa famille riche? La solitude qu'elle s'était imposée l'obligea à accélérer sa quête vers l'autonomie.  "C'est pas parce que l'on perd la vue que l'on perd la vie." Après la période dépressive des premiers mois elle se mit à la recherche de nombreux outils qui purent lui faciliter la vie: se déplacer à l'aide d'une canne blanche, apprendre le braille, prendre l’habitude d'utiliser un dictaphone pour noter les petites choses de la vie. 

Depuis son départ de Westmount, elle n'avait donné aucune nouvelle à sa famille. Son père avait tout de même fini par la retrouver. C'était la première fois qu'il pénétrait l'est de la Main. Il souhaitait plus que tout la convaincre de rentrer à la maison. Lorsqu'il monta au deuxième étage de l'immeuble défraîchi,  elle lui ouvrit la porte et  il n'y trouva pas la jeune femme démunit qu'il avait imaginé.  Elle l'invita à la suivre au salon. Il ouvrit la petite lampe située près de son fauteuil et découvrit les reproductions colorées de Jean-Paul Riopelle, de Paul-Émile  Borduas, Jean-Paul Mousseau. "Je ne veux pas rentrée à la maison, j'ai besoin de me retrouver dans cette nouvelle vie", elle était menue mais déterminée. Il ne pouvait se résoudre à risquer de la perdre à nouveau. Alors il fit intervenir son agent immobilier et lui acheta un grand cottage sur la boulevard Pie IX. Dans chacune des pièces, il fit installer des originaux colorés des reproductions qu'elle possédait.  "Les grands parapluies de Théberge" trônait dans un salon qu'elle ne verrait jamais. Il avait également fait installer un grand piano à queue espérant qu'elle transfert sa passion des arts visuels pour la musique.  Et pour s'assurer qu'elle ne manque de rien, il demanda à sa vieille nanny anglaise de venir prendre soin d'elle. 

La vie repris doucement son cours, comme la nature après les grands incendies.  Elle trouva petit à petit un réconfort dans la musique, ce fut même la musique qui la conduisit à l'amour. Son professeur de piano la trouvant particulièrement douée, l'avait présenté à un violoncelliste. L'harmonie qui les unissait s'étendit bientôt à leur vie personnelle. Les sonates classiques se mirent à côtoyer la marche nuptiale. C'est de cette façon qu'Esther McNicoll de Westmount devint Esther McNicoll Mayrand de Hochelaga. 

 "Les mouettes" de Riopelle

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