Aucun message portant le libellé Les billets de fiction. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Les billets de fiction. Afficher tous les messages

vendredi 30 octobre 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 16: L'histoire d'Eugénie

Par Josée

Cela m'a fait un choc lorsque j'ai vu les ambulanciers chez Eugénie. Ils ont tenté de la réanimer pendant au moins 15 minutes mais c'était peine perdue, son triste corps inanimé s'était déjà vidé d'elle-même. Une vie de tristesse qui s'envolait dans l’indifférence. Bien que celle-ci ait passé des années de solitude sur sa vieille banquette en cuir rouge, les badauds s'étaient rassemblés pour défier la mort, comme si après tant d'années on remarquait enfin sa présence.

Ils étaient tous là, la belle Alicia, plus mince et un peu moins fière qu'avant, Paule et Paula qui étaient sorties pour l'occasion de leur piaule avec quelques-unes de leurs filles et même ma belle Esther qui tenait le bras de sa loyale nounou. Il y avait aussi le gérant du dépanneur qui pleurait la perte d'une si lucrative cliente et le propriétaire de l'immeuble qui lui ne semblait pas si malheureux à l'idée du départ d'Eugénie. Ce dernier se disait qu'après une petite cure de rajeunissement de l'appartement, il pourrait assurément signer un nouveau bail avec quelques centaines de dollars d'augmentation par année.

Ils ont dû faire venir une équipe supplémentaire pour la monter sur le lit roulant et une fois là, ce n'était pas gagné, les pneus se déformaient sous son poids, les pauvres ont travaillé fort avant de refermer les portes jaunes. L'ambulance est repartie avec son chant sinistre et ses lumières clignotantes, l'inverse de ce qu'avait été la vie sans éclat de ma petite chose rose.

Alicia s'est approché d'Esther et je les ai vues discuter. Alicia semblait désemparée et Esther l'a pris dans ses bras. Elle caressait sa longue chevelure brune et je voyais les épaules de la plus jeune tressauter. Après un moment elles sont parties vers la rue Ontario ensemble. Paule et Paula n'aimaient pas trop la formation de ce nouveau couple puisqu'elles voyaient en Alicia une nouvelle recrue pour la piaule.

Le spectacle étant terminé, chacun a regagné son petit train-train quotidien.



mercredi 10 juin 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 15: L'histoire d'Eugénie

Par Josée

Depuis quelques jours son corps était comme engourdit, même la nourriture ne la rassurait plus. Elle se sentait descendre de plus en plus profondément dans un gouffre où l'air était de plus en plus rare et vicié. Ce mercredi matin, elle sortit avec difficulté de son lit, s'habilla et alla s’asseoir sur le vieux banc d'automobile en cuir rouge.

Et puis, elle commença à se sentir désincarnée. Elle pencha la tête pour regarder son corps, ce corps qui lui semblait étranger. Un mal de tête lancinant arrivait et repartait comme une grande vague qui l’envahissait. Elle tenta de saisir le téléphone mais son mouvement lui semblait lent, rigide et forcé. Elle avait de la difficulté à savoir où commençait et finissait son propre corps. Elle entendait son dialogue intérieur qui disait à ses muscles "pliez" mais plus rien n'obéissait. "Mais qu'est-ce qui m'arrive?"

Ensuite elle eut l'impression que quelqu'un venait de presser sur le bouton "Muet" de sa télécommande et tout devient silencieux autour d'elle. Son champ de vision se mis à rétrécir. Et soudain elle se sentit en paix, comme elle ne s'était pas senti depuis des années. Tout autour était magnifique. Elle était légère sans aucun stress. C'était euphorique.

Elle sentit toute l'énergie qui lui restait sortir de son corps et ce fût le noir total.




samedi 6 juin 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 14 : L'histoire d'Alicia

Par Louise

Le bruit de la pluie dévorait le silence. Alicia respire doucement alors que l'orage commence son ravage. Elle rêve à un naufrage. En pleine mer, le bateau vogue supporté par les mouvements de l'océan. Soudain, un bruit de craquement annonce une urgence imminente. La coque du bateau se fendille laissant infiltrer l'eau mortelle. Des cris se font entendre de toute part ! La cale du bateau est déjà remplie d'eau indiquant que le naufrage sera la solution en dernier recours. Trop tard, le bateau se soulève, amené par des vagues puissantes et puis coule vers les profondeurs du monde sous-marin.

       - Ah non ! C'est quoi cette misère de merde ! J'suis tout trempée ! J'aurais dû demander le gîte à la Maison Tangente mais j'avais tellement faim et j'ai utilisé le 7$ demandé pour l'hébergement.

Alicia s'est endormie sur un banc du Parc Maisonneuve après un repas chez Les Affamés. Le sandwich est trop cher pour ses moyens, mais le café est gratuit. Et puis, il faut bien s'offrir de petites douceurs à l'occasion.

Alicia ne s'est jamais résignée à faire une demande d'aide sociale, elle préfère être de passage dans les différentes maisons d'hébergement. En fait, après ses nombreuses tentatives inutiles à reprendre le contrôle de ses finances, elle a dû quitter son logement. Son père n'a pas accepté de lui faire encore une fois, cette faveur maintes fois demandée. Donc, pas d'adresse, pas de BS ! De toute façon, elle aime bien discuter avec les intervenants qui l'accueillent dans les maisons d'hébergement. Et puis, qu'est-ce que ça veut dire au juste, être itinérante ? Les intervenants sont au petit soin avec elle et elle se sent si bien auprès d'eux. Leur chaleur humaine vaut toutes les souffrances et les tracas de sa situation. Au fond, c'est pas si mal !

      - Sauf quand je meurs de faim ! pense tout bas Alicia

Il y a aussi Mathias, intervenant à la Maison Tangente qui lui rappelle ce que pourrait être l'amour. Il est tellement patient, à l'écoute, toujours disponible, il salue Alicia chaque fois qu'elle entre et ... il est divinement beau ! Elle se rappelle justement le jour où elle a appris, en recevoir son certificat de naissance, qu'elle avait été adoptée. En pleure, les larmes qui dégoulinaient sur son visage détruisant son savant maquillage alors qu'elle était réduite à ressembler à une loque humaine, Mathias n'avait pas hésité une seconde à la prendre dans ses bras, lui offrant le réconfort attendu.

     - Tiens ! Je pourrais aller voir Mathias, il a peut-être eu des nouvelles de mon père biologique, Clément Mayrand.

mercredi 3 juin 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 13 : L'histoire de Normand Bouchard

Par Josée

On dirait bien que cela brasse dans la piaule de Paule et Paula. Même si depuis une semaine je suis sous le charme d'Esther, je n'oublie pas mes devoirs et la piaule de P & P mérite un grand ménage. Quelle affreuse image pour les enfants du quartier! 

Il y a environ six mois, je me suis introduit en me faisant passer pour un client, j'ai totalement joué le jeu pour ne pas éveiller les soupçons. En entrant dans la maison j'ai été reçu par les deux tenancières. Pour des femmes matures elles ne sont pas mal, je dirais même plutôt sexy. Mais bon, n'oublions pas que ces femmes encouragent les mauvaises mœurs.

Les murs étaient peint de couleurs vives du rouge, de l'orange, du jaune... Des sofas en velours et des luminaires de cristal. On aurait dit une peinture de Toulouse-Lautrec. Une des deux mesdames P. a ouvert un panneau qui a glissé sur des roues et a laissé apparaître les photos des femmes disponibles pour la soirée. Il y avait des seins pour tous les goûts: des raisins, des pommes, des cerises, des poires, des pastèques, des citrons... Cela donnait faim!

Elles ne savaient pas ce qui les attendait en laissant entrer le renard dans le poulailler. 5:55, c'est l'heure de la cigarette. Je vais prendre un peu l'air sur le balcon. Mais c'est curieux, on dirait MA Esther qui entre chez Alicia?

mardi 2 juin 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 12 : L'histoire de la Piaule à Paule et Paula

Par Geneviève

Le bordel !

C'est le cas de le dire, le bordel était pris au bordel. Ça criait, ça griffait, ça se tirait les cheveux et des doigts accusateurs ornés de faux ongles étaient pointés. On était bien en droit de se demander mais pourquoi donc ? Un vol d'argent ? de bijoux ? un client insatisfait qui ne veut pas payer ? Mais non, ce genre de pacotilles arrive régulièrement et les pertes sont alors compensées par un client, souvent nouveau, toujours naïf, qui, éblouis par les belles dames qui le courtisent, ne se rend pas compte de la subtile visite guidée de ses poches et de son portefeuille.

Mais alors quoi ? Un "vol" de client ? Un client qui a décidé de changer ses habitudes, ou qui a fait une demande contre nature qui a été acceptée ? Normalement ce genre de précédent pourrait absolument créer un mini-scandale mais non, ce n'est pas cela, l'heure était beaucoup plus grave et personne ne comprenait comment cela a pu se produire. Si elles savaient les pauvres...c'était si simple et le danger était (et est encore) si proche.

Pourtant, rien n'avait changé depuis longtemps, les tenancières étant toujours les mêmes et les filles travaillaient ensemble depuis longtemps. Il y avait bien des conflits juvéniles mais rien qui méritait un tel châtiment. Les clients, triés sur le volet malgré le quartier modeste où se situait la Piaule, payaient un frais d'entrée exhorbitant (et c'était juste pour franchir la porte). La discrétion était de mise, personne n'avait un nom, juste un surnom et il n'y avait qu'un mode de paiement pour l'ensemble de la Piaule: du comptant bien sonnant payable d'avance bien évidemment. Pas de chèque, pas de carte, pas de crédit et un détecteur de faux billets dans chaque pièce de la maison.

Toutefois, c'était bel et bien arrivé et c'était l'existence même de la Piaule qui était compromise...un service essentiel selon les tenancières Paule et Paula.



Toulouse-Lautrec - Le salon de la rue des Moulins - 1894

samedi 23 mai 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 11 : L'histoire d'Esther McNicoll-Mayrand

Par Louise

Des fleurs ... encore des fleurs ! 

- Anna! Dis-moi, d'où vient cette odeur de fleur?
- Depuis quelques jours, on dirait que le salon est transformé en jardin fleuri.

Anna hésite à répondre franchement. Ces fleurs remises par le fleuriste du quartier depuis quelques jours, l'inquiètent. Elle sait très bien qui est à la source de cette offrande. Cet homme observateur l'intrigue.

Il y a toujours la même inscription sur le carton qui accompagne le bouquet : ''Je vous aime depuis que j'ai entendu votre si belle musique et qui ne cesse d'envahir mes songes! ''

Comment pourrais-je lui expliquer que chaque jour je dépose un bouquet ici et là sans lui mentionner? J'aurais dû prévoir qu'Esther pourrait reconnaître l'odeur des fleurs. Elle est si sensible à tout ce qui l'entoure, surtout que maintenant la cécité l'oblige à être à l'affût de toutes formes de changements dans son environnement. Il suffit d'une seule modification pour altérer ses repérages qui sont tellement nécessaires à lui procurer son autonomie.

Je ne me résigne pas à lui mentionner qu'un inconnu semble lui prêter une attention particulière. Elle a tellement souffert ces dernières années. Sa maladie qui a balayé d'un revers tout ce qui lui procurait un sens dans sa vie, comme un fouet! Il a fallu qu'elle reprenne goût à la vie à partir de nouveau but, nouveau défi. Chaque jour lui demande d'accepter son nouvel état. Son travail incessant me semble suffisant! En plus, il faudrait ajouter une nouvelle aventure amoureuse! Non! Non! …

Qui est-il d'abord? Quelles sont ses intentions réelles? Il ne sait rien à propos d'Esther. Moi, je la connais bien et je sais qu'elle pourrait en souffrir.

En plus, elle déteste les roses rouges depuis que Clément l'a quitté ! …

Et bien ... je pourrais simplement lui dire qu'il s'agit d'un bouquet de lys blancs.

Mais, pourra-t-elle reconnaître l'odeur distinct des fleurs?






mardi 19 mai 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 10: L'histoire de Normand Bouchard

Par Josée

Depuis une semaine, je n'arrête pas de penser à elle. Tous les soirs je traîne autour de sa maison espérant entendre à nouveau le son du piano ou entrevoir sa jolie silhouette. Je rêve de la voir sortir de chez elle et de l'aborder, mais elle n'est jamais seule, il y a toujours la vieille qui monte la garde.

Comme j'aimerais avoir une femme avec autant de classe à mon bras, je ferais tout pour elle je sortirais même de ma tour d'observation. J'ai commencé à lui faire livrer des fleurs, à tous les jours, d'immense bouquets de roses rouge comme elle le mérite. Je suis certain qu'elle ne restera pas indifférente aux cadeaux de son admirateur secret.

Ce soir, je profiterai de leur promenade quotidienne pour m'introduire chez elle et placer quelques caméras. 


mercredi 13 mai 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 9: L'histoire d'Esther McNicoll-Mayrand

Par Louise

Rencontre avec l'inconnu du jardin

Elle sent un léger frisson parcourir sa nuque. Depuis sa cécité, ses autres sens sont toujours à l'affut. Seule bien assise sur le tabouret du piano, elle joue une mélodie qui lui rappelle sa jeunesse. Cette jeunesse qui, jour après jour, lui semble de plus en plus lointaine. Heureusement, les gammes sont encore vivantes et ce moment exaltant lui permet de se réconcilier avec cette période de sagesse qui parfois, fauche l'espoir.

Esther a toujours eu du talent pour la musique. Toute petite, son père l'invitait à le rejoindre sur le tabouret pour lui enseigner la musique. Son instrument préféré était le piano parce que c'était celui de Beethoven. Et Bach aussi, surtout depuis le jour où Esther pu jouer ses partitions. Elle était merveilleuse Esther lorsque ses doigts frôlaient les petits bâtons noirs et blancs qui créaient le son unique. Dans ces moments-là, on pouvait sentir la douceur qui émanait de sa personnalité.

D'où provient ce frisson ...

Inquiète, elle guette cette impression qui ne l'a quitte plus. C'est sans doute l'effet de la musique. Clément avait l'habitude de s'installer tout près d'elle lorsqu'elle jouait. Il lui disait qu'il ne pouvait m'empêcher de la regarder. Pour lui, ce moment était inestimable tellement le besoin de la prendre dans ses bras devenait pressant. Elle aussi avait l'impression qu'une fusion était obsédante et nécessaire. L'accomplissement de leur amour provenant de la passion pour la musique, Clément et Esther ne pouvait faire autrement que de souhaiter que cet instant dure éternellement. Mais la vie a proposé un autre scénario. L'éternel a été relégué dans les souvenirs. Il y a plusieurs années déjà que Clément n'est plus près d'Esther. Ce soir-là, ce frisson pourrait peut-être faire partie de ces souvenirs, de ce sentiment qu'elle chérit lorsque la sonate de Bach pénètre tous les pores de sa peau.

Sa vieille nanny, Anna approche doucement, d'un pas silencieux. Esther sait reconnaître le pas singulier d'Anna et elle se questionne sur la raison de sa présence subite. Sachant que c'est un moment privilégié pour Esther, Anna préfère la laisser seule. Peut-être, c'est ce frisson, trop perceptible, qui l'amène vers Esther. Ce qu'ignore Esther sait qu'Anna a entendu un bruit suspect provenant du jardin.

Anna se trouve maintenant derrière d'Esther. Elle lève ses yeux au-dessus du pupitre du piano recouvert du cahier de notes où se trouve un miroir. Ce miroir que Clément a offert à Esther, le jour de leurs fiançailles. Elle n'a jamais eu le courage de l'offrir aux enfants. Il est trop magnifique. Sa parure en forme de dentelle embellit tout regard qui s'observe. Un miroir c'est comme le reflet de l'âme. Même après ce jour où Clément l'a quitté, elle put contempler ce visage tant aimé. Que ferait-elle sans l'âme de Clément? Surtout que maintenant, elle doit utiliser son imagination, le renfort nécessaire en raison de son aveuglement.

Le miroir indique qu'il y a quelqu'un qui se cache dans le jardin, derrière la rangée des arbustes et qui l'observe. La lune facilite son observation et Anna reconnaît un homme qui lui semble familier. C'est bien lui, cet homme aperçu hier à la pharmacie. Il est facile à repérer, car il porte encore le même chapeau de feutre, bien calé sur sa tête et qui lui procure un certain anonymat. Difficile d'oublier aussi, tant que son impatience au comptoir des prescriptions était palpable. Très à l'aise ce monsieur et même un peu effronté, se rappelle Anna. Et de murmurer, la preuve, il se trouve dans le jardin à cet instant même.


Tout en continuant à écouter cette mélodie si appréciée par Esther, elle se demande comment elle peut agir dans cette situation. Doit-elle informer la police, le rejoindre dans le jardin pour lui demander une explication, que faire ? Elle décide de l'ignorer. Il n'a pas l'air trop dangereux pour l'instant ! On verra bien... ! 




mardi 12 mai 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 8: L'histoire de Normand Bouchard

Par Josée

Je ne sais pas si c'était le son du piano ou l'odeur du jardin qui m'avait d'abord attiré. Je me suis approché de cette maison hors du commun du boulevard Pie-IX.  J'entrevoyais une silhouette de femme au piano. Elle jouait un air à la fois triste et tellement beau. Je me suis faufilé derrière la rangée d'arbustes, il y avait une fenêtre dans le coin de la pièce. Je la voyais très bien. C'était une belle femme avec les cheveux remontés en chignon, elle portait une robe vaporeuse bleue très pâle. On aurait dit un ange. Son regard semblait perdu au loin comme s'il cherchait l'histoire de cette mélodie nostalgique.

La pièce ou trônait le magnifique piano à queue semblait venir d'ailleurs comme si je remontais le temps et que j'observais le salon de la famille Dufresne dans leur Château en haut de la côte qui mène à Sherbrooke. Les murs étaient colorés de fabuleux tableaux. Quelle classe!  Qu'est-ce qu'une femme comme elle faisait ici? Et puis le jardin sentait tellement bon, je me suis assis à l’abri des regards et j'ai fermé les yeux. Tout ceci me calmais.

Lorsque j'ai rouvert les yeux, le piano ne jouait plus et le soleil se levait. Je suis sorti précipitamment de ma cachette et je suis rentré à la maison.



lundi 11 mai 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 7: L'histoire de Normand Bouchard

Par Josée

Cette histoire de chien m'a fait réaliser le nombre incroyable d'animaux domestiques qu'il y avait dans le quartier. Certains propriétaires achètent des animaux sans en mesurer les conséquences, ils sont trop mignons dans la cage de l'animalerie mais une fois devenu gros c'est moins drôle.  Les chiens sont mal dressés, ils polluent les trottoirs de leurs excréments et nos oreilles de leurs jappements. Pour ce qui est des chats, leur sort est encore plus triste, ils les jettent à la porte et arrêtent de les nourrir.  Les ruelles sont pleines de générations de chats errants qui se nourrissent dans les ordures ménagères. 

Et personne s'en préoccupe. J'ai dû prendre les choses en main, c'était une question de santé publique, il y a des limites au nombre de chats errants que l'on peut tolérer. Aujourd'hui, il y en a beaucoup moins et pour une fois les salops des services sanitaires sont venus les chercher. Dans chaque rue il y avait au moins deux ou trois chats étendus, une épidémie qui les faisaient mourir après avoir saigné du nez, des oreilles et de la bouche, même chose pour les rats et les autres petits rongeurs. Les résidents commençaient à se plaindre de l'odeur et le spectacle faisait pleurer les enfants. Il parait que les vétérinaires auraient constaté la même chose chez quelques chiens.

La mort aux rats mélangé aux thons et disposée dans de petits sacs au travers les ordures ménagères est un délices pour les chats, les rats et les chiens laissés sans surveillance. Après l'ingestion, le produit empêche le sang de coagulé alors la moindre petite blessure devient mortel. Extérieurement le sang s'écoule par les principaux orifices: nez, oreilles, bouche si c'est pas suffisant, ce sont les organes internes qui se désagrègent, cela prend au plus 3 à 5 jours.

Je comprends que tout ceci était radical mais après le grand nettoyage des autorités, tout le monde va être heureux et les propriétaires vont enfin tenir leur chien en laisse. J'ai aussi remarqué que les gens respectent plus les horaires prévus pour les vidanges. Il faut avouer que les fonctionnaires municipaux et les policiers surveillent un peu plus les sacs verts.

Moi je reste humble face à l’événement, c'est pas nécessaire que l'on connaisse le nom du héro.


dimanche 10 mai 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 6: L'histoire de Normand Bouchard

Par Josée

Je ne sors plus de chez moi avant la tombée de la nuit, de cette façon je ne suis pas obligé de fraterniser avec tous les écornifleurs qui passent leur vie sur le balcon faute d'avoir rien de mieux à faire. J'en profite pour faire un peu de surveillance dans le quartier, il faut bien que quelqu'un s'en charge. Les mauvais comme les rats sortent la nuit, moi je les ai à l'oeil. J'ai une adaptation mobile de mes petits caméras cachés dans mon chapeau et je suis prêt à apporter les preuves si c'est nécessaire. 

Certains commerces de la promenade ont installé des terrasses, les balcons des deuxièmes étages ont commencé à fleurir, c’est presque agréable si l’on faisait exception de cette odeur persistante de levure dont j'arrive pas à trouver la provenance. Et puis, cette rêverie me rend imprudent et je me retrouve le pied dans une masse brune à la texture molle et encore tiède. 

"Tabarnak" je lève les yeux et j'aperçois mon gros insouciant de voisin devancé par son gros chien noir sans laisse. De retour chez moi, je passe une demi-heure à faire disparaître les traces nauséabondes. Pour accélérer le processus de séchage, je dépose ma paire de souliers sur mon balcon arrière. 

Quelques heures plus tard, lorsque j'entre mes souliers, je vois le maudit chien noir, dans la cour qui se prélassait dans le gazon. Je suis toujours enragé par ce qui est arrivé. Je me dirigea vers la cuisine et je confectionne une belle grosse boule de bœuf hachée à laquelle j'ajoute de beaux moreaux de bacon et beaucoup de poudre Lax-a-day. Je ressors sur le balcon et lance la belle boule appétissante sur laquelle le gros chien noir se lance sans attendre. Quelques minutes plus tard, le voisin rappela son chien, moi j'attends la suite sur mon balcon. 

Le cri du voisin, qui jeta à nouveau son chien dehors est l'illustration parfaite du résultat de l'opération. Ma colère s'estompa enfin et je rentre dans la maison. Je me sens mieux que je ne m'étais senti depuis des mois.


vendredi 8 mai 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 5: L'histoire de Normand Bouchard

Par Josée

Je n'ai pas beaucoup de talent au niveau social, je dirais même que j'en ai de moins en moins avec les années. J'ai cependant un don pour les chiffres, et la place de plus en plus grande qu'a pris Internet m'a permis de devenir riche de façon très discrète.  Je me cache derrière une compagnie à numéros et personne ne pourrait deviner ce qu'il y a dans mes comptes bancaires.

Personnellement, je n'ai pas besoin de grand-chose et j'ai déjà plus d'argent qu'il est nécessaire pour toute une vie.  Pour moi c'est un jeu. Chaque jour je fais le tour de l'actualité économique, je lis des états financiers, je pousse même l'effronterie jusqu'à appeler les gestionnaires des entreprises prometteuses pour demander comment vont les affaires. La plupart aiment se vanter de leurs bons coups. Moi, je sais comment utiliser l'information. J'aime aussi jouer avec les devises étrangères, quelques milliers de dollars dans les bons comptes peuvent rapporter beaucoup.

Dans ma vie retranchée du monde, en haut de ma tour, j'observe ce qui se passe en bas. Comme j'aime la discrétion, j'ai installé sur mes balcons avant et arrière de minuscules caméras qui enregistrent tout ce qui se passent et c'est mauvais. Le monde est mauvais et Il aurait besoin d'un peu d'aide pour le nettoyer de tous ces parasites. J'ai transformé mon salon double en salle d'observation avec plusieurs écrans et je note les éléments dérangeants, il faudra bien que quelqu'un s'en occupe.


jeudi 7 mai 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 4: L'histoire de Normand Bouchard

Par Josée

3:33, c'est l'heure de ma cigarette, j'y ai seulement droit lorsque l'horloge indique des nombres identiques.  Il y a des jours où je n'arrive pas à fumer parce que je ne suis pas assez concentré, quand l'heure est passée, c'est tant pis pour moi. Si j'oublie de regarder l'horloge à 5:55, je dois attendre jusqu'à 11:11, j'en profite pour dormir.  La nuit, je ne dors pas, j'en profite pour fumer. Lorsque j'en grille une sur le balcon, je prends contact avec le monde qui m'entoure et l'action ne manque pas la nuit comme le jour. 

D'en haut, j'observe tel un voyeur. J'observe et je juge. Il y a eux et il y a moi.  Je ne fais pas partie de ceux qui vivent en bas, les bruyants, les paresseux, les incultes, les ivrognes, les drogués. Je suis immunisé par mes diplômes, ma grande culture, l'ouverture sur le monde que m'a procuré mes nombreux voyages à travers le monde, et puis on ne devient pas ivrogne lorsque l'on ne boit que des grands crus.

La semaine passée, les voisins du deuxième avaient décidé de laver leur linge sale sur le trottoir. Il était difficile de ne pas suivre la conversation, on aurait dit qu'il enregistrait pour une télé-réalité avec des micros cachés dans les cheveux.
-Pas question que ce soit ton frère qui soit le parrain de mon enfant!
-C'est toujours toi qui décide Tabarnak.
-Mais c'est qui, qui va être pogné avec le p'tit quand tu seras en-dedans?
Et les voisins d'à côté ne sont pas mieux. Ils vivent à peu près dix dans l'appartement. Les grands-parents, les enfants et les petits-enfants. C'est pour s'entraider et apprendre à vivre sur le B.S. L'été passé, ils ont sorti le grand-père sur le balcon avec sa chaise roulante et le vieux buvait sa bière avec une paille, il avait mal aux bras, des vrais Bougons.


dimanche 26 avril 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 3: L'histoire d'Esther McNicoll-Mayrand

Par Josée

Esther McNicoll Mayrand était une femme remarquable. Elle s’habillait de vêtements classiques et portait des fragrances délicates. Sa chevelure abondante était docilement coiffée en de complexes chignons. Sa silhouette agréable ne révélait pas qu’elle avait plus que débuté la cinquantaine. La vie avait été douce, elle avait profité d’une rente familiale dès son entrée dans la vie adulte. Elle vivait depuis longtemps dans une grande maison du boulevard Pie-IX. Elle s’était entourée au cours des ans d’un mobilier coquet et confortable. Ses murs regorgeaient de sa passion pour la peinture moderne et colorée.  Les choses n’avaient pourtant pas toujours été comme ça. Il fut un temps où la mer était agitée et où le ciel s’était assombri. Mais c’était il y a longtemps. À cette époque, elle avait la jeune vingtaine et portait les cheveux au vent. C’était l’époque des Bee Gee et de Travolta. Elle étudiait l’histoire de l’art et profitait des moindres congés pour voyager. Elle s’était installée à New York pour l’été, profitant d’un pied à terre qu’avait sa famille dans le West Side. Elle adorait ce quartier situé entre la rivière Hudson et Central Park. Après une petite marche, elle se retrouvait dans ses musées préférés, le Museum of Modern Arts et le Guggenheim. Elle aimait également fréquenter les galeries d’arts qui étaient si nombreuses dans Greenwich village. 

Les symptômes de son mal étaient apparus à la pénombre, de façon insidieuse, même si les choses semblaient encore intactes à la lumière du jour. Elle dû cependant accepter la détérioration de sa vision et rentrer à Montréal. Le retour avait été sombre, surtout après que le diagnostic d’une cécité permanente et à court terme fut tombé. Comment était-ce possible pour une amoureuse d’arts comme elle? Elle gaspilla un mois dans sa chambre, dans la maison familiale de Westmount, puis un matin sans aviser personne elle partit avec une petite valise affronter les ombres de sa vie. Elle traversa Montréal d’Ouest en Est et s'installa dans un petit appartement d’Hochelaga. À partir de cet instant, elle passa le plus clair de son temps dans les galeries d’arts et acheta des reproductions de toiles très colorées qu’elle voyait de moins en moins. Elle en garnit tous les murs de son petit appartement. Et puis finalement, après un clignement des yeux, elle entra définitivement dans les ténèbres. 

Cet exil, dans sa propre ville, marquait la transition dans sa nouvelle vie.  Elle pansait ses blessures comme un chien qui lèche ses plaies, à l’abri des regards. Elle cherchait à apaiser sa colère en imaginant des explications à son entrée prématurée en enfer, à l'ombre de l'église voisine, qui faisait résonner sa cloche.  Devait-elle expurgé elle-même les fautes de sa famille riche? La solitude qu'elle s'était imposée l'obligea à accélérer sa quête vers l'autonomie.  "C'est pas parce que l'on perd la vue que l'on perd la vie." Après la période dépressive des premiers mois elle se mit à la recherche de nombreux outils qui purent lui faciliter la vie: se déplacer à l'aide d'une canne blanche, apprendre le braille, prendre l’habitude d'utiliser un dictaphone pour noter les petites choses de la vie. 

Depuis son départ de Westmount, elle n'avait donné aucune nouvelle à sa famille. Son père avait tout de même fini par la retrouver. C'était la première fois qu'il pénétrait l'est de la Main. Il souhaitait plus que tout la convaincre de rentrer à la maison. Lorsqu'il monta au deuxième étage de l'immeuble défraîchi,  elle lui ouvrit la porte et  il n'y trouva pas la jeune femme démunit qu'il avait imaginé.  Elle l'invita à la suivre au salon. Il ouvrit la petite lampe située près de son fauteuil et découvrit les reproductions colorées de Jean-Paul Riopelle, de Paul-Émile  Borduas, Jean-Paul Mousseau. "Je ne veux pas rentrée à la maison, j'ai besoin de me retrouver dans cette nouvelle vie", elle était menue mais déterminée. Il ne pouvait se résoudre à risquer de la perdre à nouveau. Alors il fit intervenir son agent immobilier et lui acheta un grand cottage sur la boulevard Pie IX. Dans chacune des pièces, il fit installer des originaux colorés des reproductions qu'elle possédait.  "Les grands parapluies de Théberge" trônait dans un salon qu'elle ne verrait jamais. Il avait également fait installer un grand piano à queue espérant qu'elle transfert sa passion des arts visuels pour la musique.  Et pour s'assurer qu'elle ne manque de rien, il demanda à sa vieille nanny anglaise de venir prendre soin d'elle. 

La vie repris doucement son cours, comme la nature après les grands incendies.  Elle trouva petit à petit un réconfort dans la musique, ce fut même la musique qui la conduisit à l'amour. Son professeur de piano la trouvant particulièrement douée, l'avait présenté à un violoncelliste. L'harmonie qui les unissait s'étendit bientôt à leur vie personnelle. Les sonates classiques se mirent à côtoyer la marche nuptiale. C'est de cette façon qu'Esther McNicoll de Westmount devint Esther McNicoll Mayrand de Hochelaga. 

 "Les mouettes" de Riopelle

mercredi 22 avril 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 2: L'histoire d'Alicia

Par Josée

Alicia est une belle grande brune avec de longs cheveux et un toupet coupé court. Elle habite seule le rez-de-chaussée d'en face depuis trois ans. Son père en est le propriétaire et comme elle est fille unique, il lui en laisse passer.

Lorsque ses parents ont vidé l'appartement, ils lui ont gentiment laissé plein de meubles. Bien sûr c'était des articles qui avaient du vécu mais lorsque l'on commence dans la vie, pourquoi faire la difficile.

Mais rien n'est jamais assez beau pour la magnifique Alicia. Malgré son maigre salaire, elle décida de redécorer l'appartement: peinture, rideaux, tableaux, meubles. Alors débuta la ronde du neufs et du vieux: les vieux meubles déposés sur le bord de la rue et l'arrivée des camions de livraison avec les meubles neufs. Ensuite, arrivent les badauds  qui viennent jeter un œil sur les objets abandonnés et qui repartent avec.

Le "achetez maintenant payez plus tard" a cependant ses limites et un jour ou l'autre, le plus tard arrive, plus vite qu'on le pensait! Évidemment comme un malheur n'arrive jamais seul, la belle Alicia venait de se faire remercier par son patron.

L'arrivée du facteur lui fait de plus en plus peur avec les comptes d'Hydro couleur orange et les coupures de cellulaire. Puisque la carte de crédit est déjà pleine, la ronde des meubles recommence : petites annonces sur Kijiji avec l'espoir de récupérer quelques dollars et achat de meubles de seconde main à l'Armée du salut.



dimanche 12 avril 2015

La revanche du Corbeau

Par Geneviève

Maître Renard sur un fromage couché
Faisait la sieste avant de le dévorer
Maître Corbeau là-haut perché et le regard sournois
Époumonait allègrement sa puissante belle voix
Maître Renard réveillé et exaspéré
Lui tint à peu près ce langage:
«Monsieur le Corbeau, soyez sage!
Je vous en prie, je suis vanné
Je vous supplie de me déserter»
Comme le Corbeau l'ignorait, le Renard cru bon ajouter:
«Votre prix sera le mien»
Mal lui en prit, car non seulement le Corbeau avait faim
Mais il se souvenait bien de la leçon
Qui l'avait jadis fait passer pour un con
«Ton fromage contre mon tapage», dit-il, sinon:
«C'est le silence qui va te déserter»
Déconcerté, le Renard céda et lui tendit son repas
Le Corbeau triomphant marmonna d'un ton mesquin:
Que «la faim justifie les moyens»
Et que «la vengeance est un plat qui se mange froid»
Pour lui, son honneur blessé ainsi que son fromage
Valent bien un peu de chantage
Même si cette auto-justice, n'est pas très sage!


lundi 6 avril 2015

Le maître des lieux

Par Geneviève

Je suis le maître des lieux. Je domine mon petit royaume. 

Ne vous détrompez pas, le choix est purement démocratique. Ils m'ont choisi, et ce probablement suite à de nombreuses discussions et après m'avoir comparé avec mes semblables. Évidemment, ils peuvent bien décider de ne pas m'écouter et de m'ignorer mais ils sont trop faibles pour cela. Je les attire, je les envoûte, je les retiens, je les titille, je les informe et je les divertis. Mes connaissances infinies les dépassent.

Vous me trouvez manipulateur ?

Peut-être, non en fait, beaucoup ! Mais que voulez-vous, je fais juste ce qu'on attend de moi. S'ils cessent de me solliciter, je vais cesser de donner. Parfois, il m'arrive de me taire et alors c'est la panique, que va-t-on faire sans moi ? Tous les moyens sont alors déployés pour me sortir de mon mutisme. 

Ce n'est tout de même pas de ma faute s'ils insistent pour manger en ma compagnie, pour passer la soirée avec moi et parfois même la nuit...

Paradoxale tout de même, car je génère beaucoup de violence, tellement que c'en est banal. Abrutis, ils regardent stoïquement la barbarie, les morts, les cris, les mutilations et les insultes en ayant l'air de trouver cela normal. De plus en plus, je n'en peux plus. Le sang qui gicle m'aveugle et les sirènes hurlantes me rendent fou.

Quand cela arrive, il m'arrive alors de prier pour qu'on me débranche ou du moins, qu'on trouve cette satanée télécommande et qu'on m'éteigne une fois pour toutes.



lundi 30 mars 2015

L’homme contrarié

Par Geneviève

Il gisait devant lui, inerte et encore molasse en attendant la froidure. La scène aurait dû le réjouir mais le silence qui s’en dégageait l’exaspérait. Pourquoi en est-il arrivé là se demandait-il ? Tantôt la vie, maintenant plus rien. Pourtant, il s’était convaincu que ce geste soulagerait cette tension qui le gruge depuis toujours mais maintenant qu’il y était, qu’il était étendu devant lui, il ressentait une profonde ennui et surtout aucun bien-être.

Le plan était radical mais aucun autre ne lui était venu en tête. Lentement mais sûrement il s’était préparé et l’avait exécuté avec minutie. Or, il n’y avait rien à faire, ce silence l’énervait. Il devait se résigner à l’admettre, il s’était trompé, la décision était contre-nature, du moins contre sa nature.

C’est décidé, dès demain il allait rentrer à la maison et trouver une autre solution à son mal. De toute façon, l’énergie de la ville lui manquait trop. Comment un urbain extrême comme lui a-t-il pu s’imaginer qu’aller contempler un lac lui ferait du bien ?


**Illustration : Nuit d’automne, acrylique sur toile, décembre 2014, artiste : Gisèle Michaud (ma maman).**

lundi 23 mars 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 1: L'histoire d'Eugénie

Par Josée

Premier texte de la série des personnages de l'observateur du troisième

C'est Eugénie, mon petit cochon rose. Elle est toute dodue avec des taches de son et de longs cheveux roux ternes tirés vers l'arrière. Il est à peine 9h00 et elle vient de recevoir sa première livraison du dépanneur. À tous les jours c'est la même chose, beau temps, mauvais temps, elle s'assoit sur une vieille banquette d'auto en cuir rouge et blanc et elle mange. Elle grignote sans arrêt, sans ustensile, directement avec ses doigts qu'elle lèche comme un chat.

Elle ne parle pas, à croire que depuis la mort de sa mère, il n'y a plus personne à qui parler.  La seule preuve que ses cordes vocales sont encore en fonction est lorsqu'elle qu'elle commande par téléphone des aliments gras qui viennent la sustenter.  Elle a ses préférences: les sacs de chips Ruffles ondulées, les crottes au fromage Chittos, la poutine et les hot-dog du Snack au coin de la rue, la pizza molle aux pepperonis et au fromage de chez Madonna Pizza et le poulet frit Kentucky. Elle arrose le tout en avalant de grandes rasades de boissons gazeuses, pour aider à digérer ces kilos de gras saturé. Des milliers de calories ingurgitées qui se logent en superposition partout sur son corps en une montagne gélatineuse.

Déjà dans son enfance elle était voluptueuse, sa mère l'habillait tout de rose et lui faisait deux petites lulus attachées par des rubans roses. Elle l'a reconduisait à l'école le matin, faisait l'aller-retour pour le lunch et revenait la chercher le soir. Elles vivaient toutes seules comme un couple.
- Qu'est-ce que tu mangerais pour dîner? Pour souper?
Et Eugénie en enfant difficile, ne demandait que des aliments gras et réconfortants et sa mère acceptait. Cette fuite, l'aidait à oublier la méchanceté avec laquelle les autres se moquaient d'elle. Derrière ses grands yeux bleus délavés, elle souffrait en silence.

Puis à l'arrivée au secondaire la méchanceté se transforma en indifférence et la douleur se fit encore plus intense. Un jour que sa mère la raccompagna à l'école, elle entra par la porte de devant et ressortit par la porte de derrière. Elle répéta la manœuvre pendant deux moins sans que personne ne aperçue de son absence. Puis à la fin du trimestre lorsque l'on imprima les bulletins, il n'y eut pas de notes à inscrire et la rumeur circula qu'elle était déménagée, après tout personne ne la connaissait. La fin d'année arriva sans que la rumeur ne fût démentie.

À la fin août, avant que l'année suivante débute, elle s'inventa des maux de ventre et de cœur et finit par convaincre sa mère que l'école n'était pas pour elle.  Sa mère n'insista pas et comme elle semblait avoir disparu des dossiers scolaires personne ne vint réclamer son retour en classe. Elle aida sa mère dans les travaux de couture et s'enfouit peu à peu dans la solitude.

mercredi 18 mars 2015

Le doux parfum de la lavande

Par Josée

C'était donc cela la fin: un tunnel et de la lumière.  J'avais joué au plus fin et j'avais perdu.  Je me repassais le film de ma vie avec en boucle la dernière journée, cette histoire tirée par les cheveux qui avait mal tournée.

Joëlle m'avait invité à la maison de campagne de sa famille.  Je ne pouvais pas dire non, d'autant plus que Joëlle, cela faisait un bail que je la reluquais.  Pour se rendre à la grande maison cossue, nous avions dû traverser une forêt de plusieurs kilomètres sur un chemin privé, c'était ce que le pouvait qualifier de "creux".

En entrant, il y avait une odeur de lavande qui me piquait le nez, dans le hall une petite table surmontée d'un miroir. Joëlle me fit déposer mes bagages et m'entraîna dans le salon pour me présenter à son père.  Je savais déjà que c'était un anglophone sévère originaire de l'Alberta, mais en m'assoyant dans le fauteuil situé en face de lui, je compris l'élément incongru: il portait un uniforme de l'armée canadienne et des dizaines de médailles. Derrière lui, sur le mur, dans un placard vitré était exposés plusieurs fusils de chasse, et sur la table base trônait un magnifique bouquet de lavande, ce qui expliquait l'odeur que j'avais senti dès mon arrivé. Une petite brise me soufflait dans le cou, l'air provenant d'une des fenêtres entrouverte.

Sa mère entra avec un plateau de petits gâteaux et du thé qu'elle déposa près du bouquet de lavande. C'était une femme élégante, avec les cheveux tirés en un savant chignon, elle portait un petit tablier blanc pour ne pas salir sa précieuse robe de soie. Quelle curieuse famille cachée ici en plein bois!

Soudain je sentis une douleur intense à la base du cou, suivi par une impression d'étranglement. Le bouquet de lavande avait attiré une abeille qui avait dû entrer par la fenêtre. Idiot, j'avais oublié mon EpiPen et jamais je n'arriverais à temps à l'hôpital.  Le vieux militaire avait beau avoir tous les fusils du monde pour tuer les ours et les terroristes, il ne pouvait rien contre une seule petite abeille. Je m'écroulai sur le sol entraînant avec moi la gerbe violette.  La dernière chose que je vis en fermant les yeux fût le regard effrayé de Joëlle.