lundi 23 mars 2015

L'observateur du troisième - Chapitre 1: L'histoire d'Eugénie

Par Josée

Premier texte de la série des personnages de l'observateur du troisième

C'est Eugénie, mon petit cochon rose. Elle est toute dodue avec des taches de son et de longs cheveux roux ternes tirés vers l'arrière. Il est à peine 9h00 et elle vient de recevoir sa première livraison du dépanneur. À tous les jours c'est la même chose, beau temps, mauvais temps, elle s'assoit sur une vieille banquette d'auto en cuir rouge et blanc et elle mange. Elle grignote sans arrêt, sans ustensile, directement avec ses doigts qu'elle lèche comme un chat.

Elle ne parle pas, à croire que depuis la mort de sa mère, il n'y a plus personne à qui parler.  La seule preuve que ses cordes vocales sont encore en fonction est lorsqu'elle qu'elle commande par téléphone des aliments gras qui viennent la sustenter.  Elle a ses préférences: les sacs de chips Ruffles ondulées, les crottes au fromage Chittos, la poutine et les hot-dog du Snack au coin de la rue, la pizza molle aux pepperonis et au fromage de chez Madonna Pizza et le poulet frit Kentucky. Elle arrose le tout en avalant de grandes rasades de boissons gazeuses, pour aider à digérer ces kilos de gras saturé. Des milliers de calories ingurgitées qui se logent en superposition partout sur son corps en une montagne gélatineuse.

Déjà dans son enfance elle était voluptueuse, sa mère l'habillait tout de rose et lui faisait deux petites lulus attachées par des rubans roses. Elle l'a reconduisait à l'école le matin, faisait l'aller-retour pour le lunch et revenait la chercher le soir. Elles vivaient toutes seules comme un couple.
- Qu'est-ce que tu mangerais pour dîner? Pour souper?
Et Eugénie en enfant difficile, ne demandait que des aliments gras et réconfortants et sa mère acceptait. Cette fuite, l'aidait à oublier la méchanceté avec laquelle les autres se moquaient d'elle. Derrière ses grands yeux bleus délavés, elle souffrait en silence.

Puis à l'arrivée au secondaire la méchanceté se transforma en indifférence et la douleur se fit encore plus intense. Un jour que sa mère la raccompagna à l'école, elle entra par la porte de devant et ressortit par la porte de derrière. Elle répéta la manœuvre pendant deux moins sans que personne ne aperçue de son absence. Puis à la fin du trimestre lorsque l'on imprima les bulletins, il n'y eut pas de notes à inscrire et la rumeur circula qu'elle était déménagée, après tout personne ne la connaissait. La fin d'année arriva sans que la rumeur ne fût démentie.

À la fin août, avant que l'année suivante débute, elle s'inventa des maux de ventre et de cœur et finit par convaincre sa mère que l'école n'était pas pour elle.  Sa mère n'insista pas et comme elle semblait avoir disparu des dossiers scolaires personne ne vint réclamer son retour en classe. Elle aida sa mère dans les travaux de couture et s'enfouit peu à peu dans la solitude.

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