mardi 3 mars 2015

L'odeur du pain

Par Josée

L'inspiration pour écrire arrive souvent comme un très long ruban, quand vous tirez dessus, il en ressort un chapelet de souvenirs. Pour Proust, c'était l'odeur des madeleines, qui l'avait replongé dans le souvenir de sa grand-mère, c'était un long ruban qui contenait l'oeuvre d'une vie en 3000 pages. Moi ce matin, c'est l'odeur du pain de ménage que fabriquait ma belle mémé Desneiges. Je me suis levée en manque de cette odeur.

Elle en faisait habituellement une fois par semaine, c'était bon et tellement réconfortant. Elle m'en coupait une grande tranche et mon pépé Johnny me la faisait cuire sur une grille qu'il déposait sur le rond du poêle. Quel régal! Il y avait là-dedans un ingrédient que l'on ne retrouve pas chez aucun boulanger: l'amour maternel. 

Elle m'offrait pour agrémenter le toutes des confitures de plaquebières ou de graines rouges, selon la saison et sortait un gros bloc de fromage kraft orange. Et puis, elle me versait de l'eau chaude sur une poche de thé Salada, que je buvais accompagné de sucre et de lait.

Je ne l'ai pas revue depuis presque deux ans, ma bonne mémé bonne comme du pain de ménage. En fait, la dernière fois que je l'ai vue, elle n'était déjà plus là, la maladie avait commencé à lui retirer sa dignité.

Paradoxalement, pour entrer à la résidence de personnes âgées de l'hôpital de Sept-Iles, il faut passer par le département de la maternité, un voyage accéléré à travers la vie. Je suis entrée dans sa chambre et j'ai cherché au fond de ses yeux la femme extraordinaire qu'elle avait été.  Elle a toujours représenté pour moi le symbole de la maternité, de la douceur et de la générosité. Elle m'a regardée et m'a chicanée tendrement: "Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vue". Lorsqu'elle m'a serrée dans ses bras j'ai cru entendre dans sa tête: "Mon Dieu, c'est probablement la dernière fois".

Elle s'est mise à pleurer.  Je l'a reconnaissais en scrutant le fond de ses yeux, pourtant la mort avait déjà commencé à prendre possession de son corps.  Pour la première fois de sa vie, ses joues étaient rondes au point où ses lunettes traçaient un sillon sur le côté de son visage enflé.  Contrairement à la plupart des personnes en fin de vie, au lieu de maigrir, son corps s'arrondissait, gloutonne tel un enfant qui n'a pas encore appris les règles de nutrition.  Elle avait enfin le droit de manger tout ce qui lui avait toujours fait envie: côtés levées, poissons panés, crème glacée, chocolat.

Sa conscience était enfin tranquille.



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